Description
Cette étude porte sur l’évolution des politiques d’approvisionnement en eau en milieu rural en Afrique de l’Ouest francophone et sur les performances de la délégation des services d’eau en milieu rural. Depuis les années 1980, les services d’eau en milieu rural ont été principalement gérés par des organisations
communautaires, en partie à cause de la diminution des ressources budgétaires et humaines de l’État causée par les programmes d’ajustement structurel. Parallèlement, de nombreux pays ont suivi un processus de décentralisation et ont transféré la responsabilité de la prestation des services d’eau en milieu
rural au niveau local.
Les six pays examinés dans cette étude (Bénin, Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger et Sénégal) ont été sélectionnés en raison de leur longue expérience en matière de délégation des services d’eau ruraux au niveau local, parfois depuis les années 1990, et des réformes récentes dans certains de ces pays dans le secteur de l’eau rurale visant à une recentralisation de l’autorité chargée de l’approvisionnement en eau en milieu rural et de la délégation des services d’eau à une échelle régionale beaucoup plus large (par exemple, en Mauritanie, au Sénégal et au Bénin). Si ces efforts sont pionniers en termes de réforme et de clarification du cadre institutionnel, ils sont également révélateurs des tentatives de l’État de “reprendre le contrôle”, dans une certaine mesure, des acteurs locaux. Il existe une tension entre ces réformes et les processus de décentralisation plus larges, qui sont souvent incomplets : dans les pays où la prestation de services d’eau en milieu rural est décentralisée, les collectivités locales manquent souvent de ressources financières et humaines pour mener à bien leur mandat.
Les moteurs de ces réformes sont variés, et comprennent :
• L’évolution des infrastructures hydrauliques rurales d’une part, et l’hybridation des infrastructures
hydrauliques rurales et urbaines, en particulier dans les petites villes et les centres de croissance
ruraux ;
• L’influence des bailleurs de fonds, notamment la Banque mondiale et l’Agence française de
développement (AFD) ;
• Les préoccupations relatives aux ressources en eau ;
• L’influence des réformes parallèles dans le secteur de l’eau urbaine ;
• Le leadership politique, l’alignement régional et la concurrence entre les pays.
• Les soucis d’équité et l’ambition politique d’harmoniser les tarifs de l’eau dans les zones rurales et urbaines.
La délégation des services d’eau dans les zones rurales n’est pas une panacée et ne prétend pas être la seule alternative à la gestion communautaire. Dans de nombreux pays, il existe un fossé entre la théorie et la pratique, avec des modèles alternatifs de prestation de services d’eau en milieu rural coexistant avec des arrangements informels, alors que les services auraient dû être délégués. Ces réformes se sont concentrées sur les systèmes d’adduction d’eau, les points d’eau y compris ceux desservis par des pompes à motricité humaine étant souvent exclus des plans ambitieux de réforme. Cependant, dans de nombreux pays d’Afrique de l’Ouest examinés, les points d’eau desservent encore la majorité de la population rurale et resteront essentiels pendant un certain temps.
L’amélioration de l’efficacité et de la performance de la prestation de services est un facteur clé pour motiver ces réformes, car le financement global du secteur de l’eau en milieu rural reste limité en termes de volume et d’efficacité. Pour améliorer la viabilité financière des services d’eau en milieu rural, les pays d’Afrique de l’Ouest ont expérimenté avec le regroupement des infrastructures pour déléguer les services d’eau en milieu rural à l’échelle de plusieurs collectivités locales, d’un district ou d’une région, y compris par le
biais de contrats visant à regrouper plusieurs autorités locales, tels que (i) les contrats de conception, de construction et d’exploitation (DBO – Design Build Operate), (ii) la délégation régionale des services d’eau en milieu rural, et (iii) les accords intercommunaux
Les tarifs de l’eau en milieu rural dans la région sont souvent inférieurs aux niveaux de recouvrement des coûts, bien qu’ils soient beaucoup plus élevés que les tarifs de l’eau en milieu urbain (qui sont souvent subventionnés). Les subventions pour l’eau en milieu rural ciblent principalement la construction de nouvelles infrastructures ou les réparations majeures plutôt que les coûts d’exploitation et de maintenance.
En revanche, la Mauritanie est peut-être l’un des rares exemples où l’État prévoit d’accorder des subventions pour la prestation de services d’eau en milieu rural.
Le fait que de nombreux pays d’Afrique de l’Ouest disposent d’un marché dynamique d’opérateurs d’eau ruraux, publics et privés, locaux et internationaux, est positif. L’appui aux prestataires de services est essentiel pour assurer la durabilité des services d’eau en milieu rural, mais les opérateurs d’eau en milieu rural reçoivent souvent un appui limité de la part de l’État. En Afrique de l’Ouest, cela se fait par (i) la prestation d’une assistance technique au niveau décentralisé aux opérateurs locaux et aux autorités chargées des services, pour leur permettre d’assumer leur rôle et/ou (ii) la consolidation au niveau régional pour faire appel à des opérateurs aux capacités plus importantes afin d’accélérer le développement du secteur de l’eau en milieu rural. Toutefois, les expériences sont mitigées : au Sénégal, certains estiment que la réforme de la régionalisation en cours a “dépossédé le pays des capacités locales” en remplaçant les associations locales d’usagers de l’eau par des consortiums internationaux pour la prestation de services.
D’autres estiment que cette réforme peut améliorer la prestation des services d’eau en milieu rural et renforcer les capacités des acteurs locaux.
Du point de vue des opérateurs, il existe plusieurs risques – en plus du risque commercial – qui aggravent souvent les difficultés inhérentes à la prestation de services d’eau en milieu rural dans le cadre de contrats de délégation. Il s’agit notamment : (i) d’un cadre institutionnel faible, qui peut conduire au non-respect des contrats de délégation ; (ii) le manque de capacité technique et financière des autorités locales, lorsqu’elles sont l’autorité délégante (iii) le manque d’acceptabilité sociale par les communautés si les réformes n’aboutissent pas aux résultats annoncés par les autorités délégantes, ce qui peut se traduire par une faible utilisation des services d’eau, un refus de payer, des tensions sociales, la dégradation et le vandalisme des infrastructures d’eau en milieu rural. En outre, les facteurs contextuels, notamment les problèmes liés aux ressources en eau (qualité et quantité), le changement climatique, la croissance démographique et, plus généralement, les questions de sécurité, de fragilité de l’État et de gouvernance, sont au cœur des préoccupations des prestataires de services d’eau et des décideurs politiques.
Le manque de régulation, de données et de suivi a été mis en évidence comme un problème qui entrave les progrès et la durabilité des services d’eau ruraux en Afrique de l’Ouest. La question du champ d’application
de la régulation sur l’eau en milieu rural et de son ancrage (au niveau national et/ou local) évolue également dans de nombreux pays étudiés. Dans tous les contextes, les opérateurs et les autorités doivent être accompagnés et équipés pour rendre compte à l’autorité de régulation (si elle existe), aux usagers de l’eau et à l’État.
Les pays d’Afrique de l’Ouest ont l’ambition d’atteindre l’ODD 6.1 et de progresser vers des niveaux de service plus élevés dans les zones rurales. Cependant, il existe une tension entre deux écoles de pensée visant à professionnaliser les services d’eau ruraux : l’une qui plaide pour la décentralisation et l’appui aux autorités locales dans leur mandat ; et l’autre qui cherche à recentraliser (en partie ou complètement) les autorités de service, ce qui permet la délégation de services à une plus grande échelle. Il s’agit d’un débat qui se déroule non seulement dans certains des pays examinés dans cette étude, mais aussi dans d’autres pays de la région (notamment la Côte d’Ivoire, le Cameroun et le Togo).
Bien qu’aucune solution unique ne semble plausible ou pragmatique pour tous les pays d’Afrique de l’Ouest, des preuves plus claires sur les facteurs de performance sont essentielles pour déterminer les politiques et les investissements futurs. Cette étude identifie certaines des questions clés de ce débat en cours, qui
nécessitent une réflexion plus approfondie :
La recentralisation des autorités chargées des services d’eau en milieu rural améliorera-t-elle le financement, le suivi des performances et la gestion des actifs ?
• Dans les pays où la décentralisation est en cours, quel est le rôle des acteurs locaux (y compris des
autorités locales) dans les pays qui ont récemment recentralisé le secteur de l’eau en milieu rural ?
Sont-ils en mesure de demander des comptes aux autorités délégantes et aux opérateurs ?
• Dans les contextes où il a été décidé de ne pas subventionner les tarifs de l’eau en milieu rural,
comment financer durablement la prestation des services d’eau tout en garantissant l’équité entre les
résidents ruraux et urbains ?
• La régulation évoluera-t-elle pour garantir la viabilité des services d’eau ruraux en cas de délégation ?
• Dans les contextes où l’expertise internationale est nécessaire pour fournir des services d’eau
universels à court terme, comment les capacités locales seront-elles développées pour assurer la
durabilité des services d’eau en milieu rural à long terme ?
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